La vierge noire de Tendu
C’est le 31 mai 2012, que nous avons découvert dans l’église Saint-Étienne de Tendu, près d’Argenton-sur-Creuse (Indre), une statue représentant une Vierge noire, avec l’inscription « VIRGINI PARITURÆ ».
La vierge noire de Tendu
Cette statue est d’un type extrêmement rare, puisque seulement quelques exemplaires de ces statues sont aujourd’hui répertoriés en France.
Élevée sur un piédestal sur le mur droit de la nef, cette statue n’a, semble-t-il, jamais été signalée par les curés de la paroisse et ne fait l’objet d’aucun culte ou vénération particulière. Elle était totalement inconnue et ignorée, tant du public que des autorités communales. Les paroissiens tiennent en grand respect et affection, une autre statue, représentant Notre-Dame de la Salette, belle statue récemment mise en valeur lors de la rénovation de l’église.
LES VIERGES NOIRES
Les Vierges noires répertoriées en France sont nombreuses et on en dénombre aujourd’hui environ 450, principalement en Auvergne et dans le sud de la France. Les plus connues et les plus honorées sont la Vierge noire de Notre-Dame du Puy-en-Velay, la Vierge noire de Rocamadour, Notre-Dame-de-Vassivière à Besse et Saint-Anastaise dans le Puy-de-Dôme, Notre-Dame-de-Sous-Terre de la crypte de la cathédrale de Chartres… Il en existe en Espagne dont la plus connue est la Vierge noire de Montserrat, en Allemagne, Autriche, Belgique.
Curieusement, ces statues semblent rares en Berry ; la seule répertoriée jusqu’à présent étant la Vierge noire de Gargilesse.
QUELQUES VIERGES NOIRES PARMI LES PLUS CÉLÈBRES
Vierge du Puy-en-Velay
La statue de Notre-Dame du Puy-en-Velay a été brûlée à la Révolution ; il s’agissait d’une statue en bois de cèdre, peut-être rapportée au Puy par les croisés et honorée lors d’un pèlerinage connu depuis le Moyen Âge. Pour la remplacer, l’on a choisi à l’époque une statue provenant d’un ancien couvent : elle ne présente que peu de similitude avec l’ancienne statue. Elle est en sapin et provient de l’ancien couvent de Saint-Martin-du-Refuge et aurait peut-être été noircie à cette époque pour mieux ressembler à la statue d’origine.
Notre-Dame du Puy-en-Velay
C’est cette statue placée dans le chœur de la basilique et couronnée, en 1856, qui est vénérée du public et célébrée chaque 15 août par des pèlerins qui viennent du monde entier.
Une copie d’après dessin de la vieille statue se trouve actuellement dans une chapelle latérale, dite des reliques de la basilique du Puy-en-Velay. La vierge et l’enfant sont couronnés ; de type oriental, leurs visages sont très noirs, mais pas leurs mains, ce qui donne lieu à bien des conjectures. La statue était d’origine coopte, égyptienne ou éthiopienne. Elle est attestée par des écrits du XVe siècle, mais son arrivée au Puy-en-Velay pourrait être bien antérieure.
La vierge est assise très droite, sans doute sur un simple escabeau. Elle est vêtue d’une tunique rouge parsemée de fleurs stylisées et de dessins géométriques. L’enfant Jésus qui est présenté sous les traits d’un adulte est vêtu d’une tunique grenat, parsemée de fleurs stylisées et il garde les bras ballants. Nous pouvons aussi remarquer la très riche couronne de la Vierge, surmontée d’une colombe.
Vierge noire de Rocamadour
L’origine de la Vierge noire de Rocamadour est inconnue. Une légende veut que Zachée (St-Luc 19,1-10) serait venu se retirer dans une grotte à Rocamadour. Dans sa solitude, il aurait sculpté dans un tronc d'arbre une statue de la Vierge. Une autre légende veut que le Saint homme ait ramenée avec lui d'Orient, une statue de couleur noire sculptée par saint Luc l'évangéliste lui-même. Cette Vierge est attestée dès le XIIe siècle ; elle est mentionnée dans une bulle du pape Pascal II, mais comme la Vierge noire du Puy-en-Velay, elle pourrait être bien antérieure à cette époque.
Notre-Dame de Rocamadour
La vierge noire de Rocamadour est une statue de petite taille (70 cm), de couleur uniforme sombre, taillée dans un bois de chêne ou de hêtre. La Vierge est assise sur un simple trône de bois avec accoudoir. Par beaucoup d’aspects, siège en bois, couleur uniforme sombre, Vierge assise, se tenant très droite et présentant l’enfant rigoureusement dans l’axe, elle s’apparente en partie aux Vierges de l’enfantement (voir ci-dessous). Par contre, l’Enfant n’est assis que sur le genou gauche de la vierge et on ne retrouve pas l’inscription Virgini Pariturae sur le socle de la statue.
La Vierge et l’Enfant sont couronnés, mais ce couronnement est sans doute bien postérieur à la création de la statue. Le succès du pèlerinage à Rocamadour vient de très nombreux miracles, attribués à cette statue.
La Vierge noire de Mende
Cette vierge datée du XIe siècle aurait été rapportée par les croisés et serait l’œuvre des moines du Mont Carmel qui l’auraient sculptée dans un bois très dur, peut-être l’olivier. Elle est assise sur un siège de bois très simple. Vêtue d’une tunique à la manière des Orientaux, elle regarde droit devant-elle et tend les bras, mais elle n’a pas d’enfant sur les genoux. Attestée dès 1249, elle est sauvée deux fois de la destruction : quand les Huguenots eurent pris Mende, en 1579 et à la Révolution.
Elle est aujourd’hui revêtue d’un magnifique manteau et est couronnée depuis 1896.
Notre-Dame-des-Miracles à Orléans
C’est vers la fin du Ve siècle que, dans un faubourg d’Orléans, absorbé ensuite par l’enceinte de la cité, une petite colonie de Syriens vénérait en un pauvre oratoire, une Vierge d’ébène tenant l’Enfant Jésus assis sur son bras gauche. À la fin du XVe, sur le point d’être battu lors de l’invasion des Normands, on invoqua la Vierge Noire des Syriens et la ville fut épargnée.
Au lendemain de la délivrance d’Orléans, Jeanne d’Arc viendra prier la Vierge noire dans l’ancien oratoire enclavé dans l’église Saint-Paul. Pendant les guerres de religion, la statue fut brûlée par les huguenots ; on tailla une nouvelle statue, mais en pierre. La nouvelle statue de pierre sera dégradée à la Révolution, mais pourra être sauvée.
En 1870, comme en 1914-1918, Notre-Dame-des-Miracles protégea Orléans des horreurs de la guerre. Le 18 juin 1940, une partie d’Orléans fut la proie des flammes et l’église Saint-Paul complètement détruite ; seul, le petit oratoire de la Vierge-des-Miracles resta intact d’où la vénération des Orléanais pour leur madone. Aux pieds de la statue richement vêtue de blanc et de bleu brûlent toujours, lampes votives et cierges de cire.
Notre-Dame de Longpont
Longpont-sur-Orge (Essonne), qui selon la tradition fut un « ancien lieu de culte dédié à Isis, tenu par les druides, qui vénéraient également Osiris et les dieux celtiques », est l'un des plus anciens lieux de culte à la Vierge Noire.
L'endroit fut évangélisé par les disciples de saint Denis, saint Sulpice et saint Ion (ou Yvon) et la légende rapporte que les druides se convertirent au christianisme ; cette légende rapporte aussi qu’ils attendaient la Vierge qui doit enfanter.
« Longtemps après, les bûcherons de l'endroit, abattant un chêne séculaire, découvrirent en son creux, une antique statue de bois. Elle portait sur son socle l’inscription Virgini Parituræ (à la Vierge qui doit enfanter). Ce fut une célébrité dont on parla bientôt partout et qui incita les Carnutes (habitants de Chartres) à venir quémander une copie »
Notre-Dame-de-Sous-Terre à Chartres
Le plus ancien document écrit où il soit fait mention de la tradition d’une Vierge noire à Chartres est la Vieille chronique, pièce qui se trouve en tête du Cartulaire de l’église de Notre-Dame-de-Chartres, publiée en 1389. A. S. Morin la résume ainsi : « La vieille chronique rapporte que l’église de Chartres a été fondée en l’honneur de la Vierge qui enfanterait. Il ne fixe pas la date de cet événement, mais il assure que ce fut bien avant la naissance de la vierge Marie. Les prêtres gaulois inspirés par une lumière divine et instruits par les oracles des prophètes attendaient un rédempteur du monde et consacrèrent leur église à la femme, non encore née, qui devait un jour être la mère du Sauveur. »
Notre-Dame de Sous-Terre
« Il y avait alors à Chartres un prince (qu’on ne nomme pas), qui approuva cette fondation et fit fabriquer une statue représentant une femme tenant un enfant dans ses bras avec cette inscription VIRGINI PARTIRUAE. » M. Morin ne cite ces textes que pour démontrer qu’il s’agit d’une légende, fabriquée en réalité au Xe ou XIe siècle, pour rehausser le prestige de l’église de Chartres et attirer les fidèles. Dans la légende, on ne rapporte pas la découverte de Longpont-sur-Orge et la demande des Carnutes qui souhaitaient reproduire la statue. Au contraire, on trouve à la vierge de Chartres, une origine encore plus ancienne.
La statue originale Notre-Dame-de-Sous-Terre du XIIe siècle, brûlée sur le parvis de la cathédrale, en 1793, fut remplacée, en 1857, par une nouvelle statue reproduisant à peu près l’ancienne et qui fut placée dans la crypte de la cathédrale. Une nouvelle statue de bois a été taillée, en 1975 et placée à la même place. Bien que faite d’après l’image de l’ancienne statue, le sculpteur à laisser libre cours à son imagination ; l’on remarque que la Vierge a les yeux clos et que la statue ne porte plus la mention Virgini pariturae.
Notre-Dame de Gargilesse
Notre-Dame de Gargilesse est une statue de bois polychrome, datée du XIIe siècle, qui aurait été apportée d’Orient par un chevalier du pays revenant de croisade. Elle serait la plus vieille statue du département de l’Indre et elle est classée monument historique depuis le 28 février 1975.
Notre-dame de Gargilesse
Cette vierge est assise sur un simple trône de bois et tient l’Enfant Jésus sur ses genoux, tous les deux se tenant très droits et leurs regards portés droit devant eux. La Vierge est très belle et son visage est calme et réfléchi. L’Enfant Jésus n’est pas un adulte comme on le trouve habituellement sur ce type de statue, mais un garçonnet qui paraît avoir huit ou neuf ans, le visage très calme, presque malicieux.
La Vierge a le visage et les mains de couleur sombre, ce qui a permis de la classer parmi les Vierges noires alors que l’enfant, tout au contraire, est très rose et très frais, ce qui permet de dire que l’artiste a volontairement donné un teint sombre au visage de la Vierge.
Les monuments historiques ont classé cette statue comme Virgini Sapientae, ce qui peut se traduire par Vierge de la Sagesse ou Trône de la Sagesse.
ESSAI DE CLASSEMENT DES VIERGES NOIRES
Cette courte description des principales Vierges noires de notre pays nous permet d’établir un début de classification.
On distingue habituellement :
1 - Les vierges noires au manteau
Le groupe le plus connu et qui compte dans ses rangs les Vierges les plus célèbres est celui des Vierges Noires au manteau ; ces Vierges noires portent un riche et magnifique manteau brodé, rehaussé de pierreries et sont coiffées d’une magnifique couronne. L’enfant Jésus, dont on ne voit le plus souvent que la tête, semble émerger du manteau . Comme la Vierge, il porte une couronne d’or, rehaussée de pierreries. Le visage et les mains de la Vierge, le visage de l’Enfant sont très noirs, couleur d’ébène. Les Vierges noires au manteau sont les plus honorées et certaines ont donné naissance à de grands pèlerinages comme celui de Notre-Dame du Puy-en-Velay.
2 - Les Vierges en majesté ou Vierges de Sagesse (Virgini Sapentiae)
Ce second groupe, auquel appartient la Vierge noire de Gargilesse, est de loin celui qui compte le plus de statues
Assise sur une chaise en bois avec dossier et accoudoirs, un escabeau ou une cathèdre, la Vierge, la tête couverte d’un simple voile, vêtue sobrement, se tient très droite, l’Enfant sur ses genoux, le plus souvent tenu rigoureusement dans l’axe. Parfois, la Vierge et l’Enfant tendent les bras. Quelquefois, l’Enfant tient dans sa main droite le livre saint.
Le visage de la vierge est le plus souvent impassible, parfois triste comme l’est le visage de la Vierge noire de Chalus , peut-être l’une des plus belles statues de Vierge noire. L’Enfant sur les genoux de la Vierge n’est pas un nourrisson, rarement un jeune enfant ; il est le plus souvent représenté sous les traits d’un adulte. Aucun attribut religieux n’orne la Vierge ou l’Enfant. Ces Vierges sont parfois couronnées, mais leur couronnement est récent, et remonte au XIXe siècle.
Beaucoup de ces statues de bois sont de belle facture. Elles sont peintes de couleurs vives et semblent quelquefois provenir d’un même atelier, sans jamais être identiques. Les visages et les mains de la mère et de l’enfant sont de couleur brune, plutôt que noire et sur certaines statues, les visages de la Vierge et de l’Enfant sont tellement clairs que pour ces statues, seule la tradition les a reconnues comme des Vierges noires. Sur certaines statues, lors de leur restauration, l’on découvre parfois que les statues de Vierges noires sont à l’origine des statues polychromes .
Certaines de ces statues, comme Notre-Dame de la Bonne-Mort à Clermont-Ferrand, sont de type africain ; mains et visages sont très noirs, couleur d’ébène. Plus richement vêtues, elles sont le plus souvent non couronnées.
Notre-Dame de Bonne-Mort
3 - Les Vierges de l’enfantement
Le troisième groupe comprend les Vierges noires, Virgini pariturae, que l’on traduit habituellement par Vierge de l’enfantement ou Vierge qui va enfanter, statues qui ne doivent pas être confondues avec les vierges parturientes, qui représentent la mère de Jésus enceinte. Comme dans le groupe précédent, la Vierge, assise sur un simple trône de bois avec dossier et accoudoirs, tient l’enfant sur ses genoux, placé rigoureusement dans l’axe. L’Enfant Jésus lève sa main droite en signe de bénédiction et tient dans sa main gauche un globe terrestre
Les statues de ce type que nous connaissons sont monochromes, soit peinte de couleur gris foncé, soit de couleur du bois dans lequel elles sont taillées. C’est à ce groupe, très peu nombreux, qu’appartient la Vierge de Tendu ; de couleur sombre, elle semble être de plâtre ou d’un matériau composite.
La Vierge noire de Tendu
La vierge noire de Tendu est représentée sous les traits d’une jeune femme d’entre vingt-cinq et trente ans, assise très droite sur une cathèdre et tenant l’Enfant Jésus sur ses genoux. Vêtue d’une simple tunique, elle porte une couronne dorée. Son visage est très calme, ses yeux baissés ; elle est comme plongée dans un état de contemplation.
L’Enfant Jésus est représenté sous les traits d’un enfant de quatre ou cinq ans, assis dans le giron de sa mère, regardant droit devant lui, tenant la main droite levée en signe de bénédiction et portant dans sa main gauche, un globe terrestre autrefois surmonté d’une petite croix dorée. L’ensemble de la statue est de couleur sombre, parsemée de reflets bleus et violets et sur le piédestal, en lettres dorées, est écrite la fameuse inscription : VIRGINI PARITURAE. Cette statue, de belle facture, semble dégager calme et sérénité.
Vierge noire de Tendu (détail)
On ne connaît à ce jour que six statues, dont celle de Tendu, représentant la Vierge qui va enfanter. C’est à Longpont qu’au XIe ou XIIe siècle, l’on parle pour la première fois de l’inscription Virgini pariturae, inscription qui aurait été reprise ensuite pour Notre-Dame-de-Sous-Terre à Chartres. Les autres statues connues se trouvent à Bonneval-sur-Eure, à l’église Saint-Symphorien de Châteaudun, à Nogent-le-Rotrou ; c’est dire leur rareté. Nous n’avons pas trouvé de représentation de Notre-Dame de Longpont.
Toutes les cinq sont du même type, bien qu’aucune ne soit exactement identique à une autre. L’on peut néanmoins penser que c’est l’ancienne statue de Notre-Dame-de-Sous-Terre de Chartres qui a servi de modèle.
Conclusion
Le culte de la Vierge Marie a tenu une place considérable dans la spiritualité du Moyen Âge, grâce essentiellement à l’influence de Bernard de Clairvaux. Entre 1170 et 1270, pas moins de quatre-vingts cathédrales et cinq cents églises, seront édifiées et consacrées à la gloire de Notre-Dame. C’est à cette époque que le peuple découvre ces antiques statues apportées d’Orient auxquelles on attribue de nombreux miracles et autour desquels vont se développer de grands pèlerinages.
Les statues Virgini Parituae que l’on classe peut-être à tort parmi les Vierges noires se rattachent plutôt à des croyances ancestrales et à des cultes à la déesse mère, bien antérieurs au christianisme.
La hiérarchie catholique a presque toujours été mal à l’aise avec le phénomène des vierges noires affirmant quelquefois que leur couleur n’était due qu’à la fumée des cierges. Mais leur culte reste vif et nous avons pu constater qu’à Chartres, si Notre-Dame du Pilier placée dans la nef était très honorée, c’est encore dans la crypte, au pied de Notre-Dame-de-Sous-Terre que se tiennent chaque jour, le plus grand nombre de réunions de prières.
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